05/10/2019

#LeSensDesMots épisode 2 : « zèbre »

Les mots sont merveilleux ! Ils nous relient les uns les autres, nous permettent de communiquer.  Là où les choses se compliquent, c’est lorsque l’idée nous prend d’employer des mots qui n’existent pas vraiment. Ou alors de leur donner un sens sur lequel tout le monde n’est pas d’accord. Que se passe-t-il dans ce cas ? C’est la cacophonie, comme l’illustre le mystérieux et fantasmatique « zèbre ».

un zèbre, au départ, c’est quoi ?

Je vous épargne la définition relative à l’équidé (vous aurez compris que ce n’est pas le sujet), pour passer directement au sens figuré. Notre ami Larousse nous explique : « terme familier employé pour un individu quelque peu bizarre ou inquiétant ».
Et le Larousse d’enchaîner avec une expression pas bien flatteuse…

« C’est un drôle de zèbre, ce type-là »

Un peu comme le personnage du roman d’Alexandre Jardin, notaire fantasque qui multiplie les stratagèmes les plus rocambolesques pour reconquérir sa femme, vous vous souvenez ?
Quoi qu’il en soit, le dico semble bloqué aux années 80. Une époque à laquelle le zèbre était au mieux sympathique, au pire flippant, et dans tous les cas, plutôt huluberlu. Rien à voir avec ce qui s’est passé 20 ans plus tard !

Depuis les années 2000, le zèbre est sexy !

Début XIXème siècle, virage à 180° pour le terme « zèbre », qui reprend du poil de la bête, sous l’influence de Jeanne Siaud-Facchi. Cette psychologogue décide en effet de l’utiliser pour remplacer celui (parfois pesant) de « surdoué ».

Ce n’était pas fait pour ça, mais là, l’engouement va grandissant.
Ah bah voilà : Là, c’est sexy ! Là, ça donne envie d’en être !
Et c’est comme ça, semble-t-il, qu’a démarré la zèbremania, et, fatalement, le gloubi-boulga (vous savez, ce truc imaginaire et immangeable).

le gloubi-boulga du zèbre

Voilà quelques années que les « zèbres » sont à la mode. Dans les médias, certes, mais pas que. On les croise aussi parfois sur les réseaux sociaux, dans des conditions qui laissent perplexe.
Un petit commentaire implicite par ci, un émoji zébré par là…impossible, avec ces messages subliminaux, de savoir ce que chacun a bien voulu dire. C’est à croire que les vrais-faux zèbres aiment particulièrement le jeu du chat et de la souris. Ce flou généralisé m’a longtemps agacée de loin, jusqu’au jour où, au début de ma reconversion, on m’a demandé :

« Vous êtes un zèbre, vous le savez, non ? ».

Je me suis retournée, mais non, c’est bien à moi qu’on parlait. J’ai trouvé la question étrange, et suis passée à autre chose sans rien répondre..
Cela aurait pu en rester là, mais on m’a refait le coup. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre fois… Comme ça, sans prévenir, et toujours en lien avec ma reconversion professionnelle.
J’ai même eu droit, un jour, à un « Tu es comme moi, toi, tu as des rayures, ça se voit tout de suite ». Avec le clin d’œil complice qui va bien, la main sur l’épaule, comme pour me dire : « allez, bienvenue dans la famille » (« mais quelle famille en fait, de quoi tu me parles ? »).
Au tout début, j’ai ignoré le sujet. Ensuite, j’en ai ri. Et puis à un moment, ça ne m’a plus amusée. Ça m’a même un peu stressée, alors j’ai commencé à me renseigner, à lire, à regarder les groupes de discussion privés. C’est comme ça que j’ai compris l’étendue des profils (et donc, du problème).

Des zèbres de toutes sortes, des rayures dans tous les sens…

Parmi les personnes utilisant le mot « zèbre » pour leur propre compte, on trouve :

  • les hauts potentiels ayant passé le test WAIS (LE test utilisé actuellement pour la détection de la douance), c’est-à-dire les personnes dont le profil correspond à celui auquel pensait Jeanne Siaud-Facchi
  • les hauts potentiels autoproclamés, refusant l’idée de passer le test WAIS et remettant en cause sa pertinence
  • les personnes ayant, je cite, « loupé le test » (qui n’est pas un examen !) mais qui ont une explication (« je n’étais pas en forme », « mon QI est incalculable »)

Ajoutons à tout ça un mix d’informations, de la plus sérieuse à la plus controversée, balayons large dans ce qu’on raconte (allez, dévions même sur Asperger, l’hypersensibilité, et même les enfants indigos, tiens). Et voilà, on l’a, notre gloubi-boulga !
Absolument parfait pour que chacun parle de ce dont il a envie et que les discussions n’en soient pas vraiment !

Alors, zèbre ou pas zèbre ?

Attachée comme je suis au sens des mots, vous vous doutez que j’ai voulu savoir ce que voulait dire « zèbre » appliqué à ma petite personne.
Pour tout vous dire, je me suis même sentie un peu contrainte de passer le test WAIS.
Parce que je supportais mal qu’on emploie des termes à mon sujet sans être en capacité de répondre quelque chose de construit, de documenté.
Parce que j’avais le sentiment que ne rien faire, c’était un peu « valider », surfer sur une fausse impression qu’on pouvait se faire de moi. En somme, que j’étais potentiellement une arnaqueuse de première.

A ce stade, vous vous dites « là, ça y est , elle va nous le balancer en pleine face, son QI à + de 130. »
Eh bien non, justement : j’ai passé le test avec un spécialiste, et celui-ci a conclu par la négative (rangez les cotillons ou les flèches, il n’y a rien à fêter ou critiquer).
Et vous savez quoi ?
Hors de question que j’essaye de vous démontrer que le test est foireux, ou que je vous en dise plus sur mes résultats. Ils m’ont beaucoup appris, mais ne regardent que moi.
La question est donc réglée pour ma petite personne : je saurai quoi répondre si une prochaine fois, on veut de nouveau me coller des rayures.

du bon usage du mot zèbre (s’il y en a un)

Voilà mon cas personnel réglé, mais pour le reste du gloubi-boulga alors, comment fait-on ? Ne nous faisons pas d’illusions : la querelle des termes n’est pas près de s’arrêter au sujet des « zèbres ». Essayons tout de même d’y réfléchir, ça ne fera pas de mal.

Côté zèbres auto-proclamés

Dites-nous, que vous apportent donc ces rayures que vous vous fabriquez ? En avez-vous besoin pour vous sentir capable, unique, aimé ?
Savez-vous que si vous passez un test et qu’il est négatif, vous ne serez pas « moins » que la veille ?
Ne croyez-vous pas, si votre potentiel vous obsède, qu’il vous sera plus utile de comprendre comment votre cerveau fonctionne plutôt que de fantasmer un chiffre ?
Est-ce que finalement, en vous cachant derrière un potentiel rêvé, vous ne passez pas à côté du vôtre, et de la possibilité d’en tirer le meilleur parti ? (Attention, les réponses sont un peu dans les questions, à mon humble avis).

Quant à ceux qui voient des zèbres partout…

Avez-vous déjà eu conscience d’aller chatouiller chez l’autre quelque chose d’un peu intime, à savoir la représentation qu’il se fait de lui-même ?
Qu’en cela, c’est un brin intrusif ?
Vous êtes-vous imaginé que cela revenait parfois à enclencher le bouton « ALERTE, ALERTE, syndrôme de l’imposteur » dans la cerveau de votre interlocuteur ? Qu’en cela, c’est un chouia indélicat ?

Bon, là aussi, vous l’aurez compris, les réponses (en tous cas les miennes) sont dans les questions. Mais allez, je ne vous en veux pas.
Evidemment, qu’en affirmant à quelqu’un que c’est un « zèbre », vous pensez lui faire un compliment.
Ça, je l’ai bien senti.
Mais ce que j’ai bien vu aussi, c’est que, comme par hasard, chaque fois que le mot « zèbre » m’est tombé dessus, c’était après une conversation autour de ma détermination à changer de vie.
Pile après avoir eu l’impression de provoquer un sentiment mêlé d’envie et de crainte chez mon interlocuteur.

L’envie de faire pareil, et la crainte de ne pas pouvoir

Avec le recul, je pense (à tort ou à raison), que c’est ce sentiment provoqué chez mes interlocuteurs qui m’a valu l’étiquette rayée. Comme si on s’était dit à mon sujet : « Mince, pour passer à l’action et y arriver, elle doit avoir un truc en plus, une facilité, un avantage. Je ne sais pas comment ça s’appelle, alors on n’a qu’à dire que c’est un zèbre. Et voilà, c’est pour ça qu’elle, elle peut, et moi pas».

Sauf que là, maintenant, il y a un hic.

Je ne rentre pas dans la case « zèbre ». Je ne suis pas plus maline. Pas plus chanceuse non plus.
En réalité, la seule chose vraiment importante que j’ai en plus, c’est une chose en moins : je n’ai plus peur d’avancer nue.
Sans étiquette ni rayures.
Si ce sont bien la crainte et l’envie qui vous ont poussé à crier au zèbre, ça vaut peut-être le coup de méditer, non ? (oui, là-aussi, la réponse est peut-être dans la question).

Photo : unsplash / Kendrick Corneless